Je marche. Tout le temps. J’aime marcher. Auto, métro, taxi… le moins possible. Parce que j’ai des jambes et parce que la marche me procure un bien immense. Elle m’offre chaque fois une belle période de réflexion et d’introspection.

J’aime regarder les gens dans les yeux quand je marche. Observer la ville comme si j’étais une touriste. Dire bonjour aux mendiants, prendre quelques secondes pour leur jaser, parfois leur offrir un petit café ou quelque chose de réconfortant. Souvent quand je marche, j’ai dans mes oreilles de la musique ou plus souvent un livre audio; de croissance personnelle, de marketing, de relations interpersonnelles. Mais aujourd’hui rien de tout cela. Je n’avais pas prévu revenir à pieds, donc pas d’écouteurs. Alors que j’avais les yeux grands ouverts sur la ville, le ciel, les bagarres du coin douteux de la ste-catherine, j’ai croisé un aveugle. J’ai passé très discrètement à côté de lui en m’assurant de ne pas le frôler malgré l’étroit passage à sa gauche, puis je me suis demandé s’il avait développé amplement son ouie et son intuition pour avoir sentie ma présence. C’est connu que lorsqu’on perd un sens, on développe les autres pour compenser. Mais pourquoi attendre de les perdre pour utiliser leur plein potentiel?

J’ai fait les quelques mètres ou kilomètres qui restaient comme si j’avais soudainement perdu la vue. J’ai laissé mes yeux ouverts bien entendu, mais je les ai fermé mentalement jusqu’à ne plus vraiment les utiliser. Pour la première fois de ma vie, j’ai senti chacun des petits cailloux sous mes pieds, chacune des craques de trottoir, surtout celles qui sont plus rapprochées lorsqu’on arrive au coin d’une rue, justement pour les non-voyants. Je me suis demandé si la fille devant moi venait vers moi ou s’éloignait. J’ai écouté ses pas, et j’ai convenu qu’on allait dans la même direction. J’ai étudié la circulation des voitures avant de traverser les rues. J’ai contourné des personnes qui parlaient au téléphone. J’ai probablement parue plus individualiste que d’habitude, car je n’ai regardé personne dans les yeux, mais je les ai regardé avec mes oreilles, et mon âme. Ça m’a fait un bien réel d’être sensible à d’autres stimulis, et de m’être mis à la place d’un autre humain. On prend souvent trop de choses pour acquis. C’est plus facile de suivre la route qu’on connait sans se poser de questions. Mais parfois c’est bien d’utiliser un autre sens en marchant. Parfois c’est bien de marcher en sens contraire.