
Juste l’espace d’un instant, une parole, un appel, un geste, parfois même une simple pensée et l’eau claire de ta vie devient trouble. À ta perception, le monde est renversé, ton univers s’effondre, il n’y a pas d’issu. C’est le bout du chemin. Le coeur battant à cent, c’est la fin du monde. De ton monde. En cet instant, c’est le champs de bataille dans ton corps. Et nécessairement, quand il y a bataille, il y a réaction. Comment est-ce possible de réagir sainement quand le ciel tombe sur ta tête?
Voilà le tableau d’une mauvaise nouvelle, d’une expérience douloureuse. Mais que se passe-t-il si nous ralentissons la pellicule de ton film? Reprenons. L’événement désagréable se présente à ta conscience. Immédiatement, une pensée surgit, plus vite que ton esprit peut en prendre conscience. Nous dirons que c’est une pensée inconsciente. Elle s’appuie sur ce que tu crois à propos de toi-même, de la vie. Et de cette pensée naît instantanément une émotion contrariante, déplaisante, blessante, destructrice, insupportable, etc. Tout cela se passe très vite, souvent plus vite que ce dont ton esprit peut en être conscient. Alors voilà, l’émotion est née. Nous avons pu observer dans la vie, que tout ce qui naît tend à croitre naturellement, comme un petit être humain fraîchement arrivé dans le monde. Pareil pour l’émotion. À une allure fulgurante, elle s’est emparée de tout ton corps, et ton esprit en est troublé. Plus rien n’existe que ce bouillonnement intérieur qui te donne des crampes, des engourdissement, un rythme cardiaque disharmonieux, bref, ton corps réagit à cette dose immense d’énergie qui envahit ton être tout entier de façon tellement intense que tu crois que tu es fâché, déçu, peiné, etc..
En réalité, si nous ralentissons encore la pellicule de ton film, nous pouvons voir ensemble qu’il y a un instant, tout allait bien dans ta vie, et l’instant d’après, ta vie est en déséquilibre. Il y a bien quelque chose qui s’est passé. Et bien c’est l’émotion qui, comme une goutte d’ancre bleue versée dans un verre d’eau, teinte en bleu tout l’eau contenue dans le verre. Par contre, le verre lui, demeure cristallin. C’est l’eau qu’il contient qui a pris la couleur bleutée. Alors nous pouvons dire que l’émotion est venue prendre possession de toi, comme la goutte d’encre bleue, qu’elle a coloré ton corps et ton esprit de son intensité, de sa nature. Mais regardons bien, tu n’es pas devenu bleu! Alors l’émotion que tu ressens à ce moment, ce n’est pas toi! Quand tu es fâché, ce n’est pas toi qui est fâché. Il est plus juste d’apprendre à reconnaitre l’émotion et te dire qu’il y a de la colère en toi.
Cette façon de reconnaitre l’emprise d’une émotion dans ton corps semble peut-être anodine, mais elle devient utile quand tu cherches à garder ton équilibre. C’est une façon de dissocier l’émotion de ton corps, et de ne plus t’identifier à elle. Alors quand un chagrin envahit ton corps, tu pourras reconnaître et affirmer qu’il y a en toi du chagrin. Cette prise de conscience, cette façon de t’éveiller aux mouvements internes, préserve ton équilibre intérieur. C’est comme si tu ne t’identifie plus au malheur. Quand nous nous identifions au malheur, de façon inconsciente bien sûr, il se trouve que nous attirons encore plus de malheur dans notre vie, puisque c’est le malheur que nous regardons, ressentons, vivons. La reconnaissance de l’émotion à l’intérieur de soi produit par contre une distanciation entre qui nous sommes vraiment et ce malheur qui surgit à l’intérieur de nous. Nous ne sommes plus ce malheur, nous sommes un être humain dans lequel est venu se loger une émotion qui tend à s’expansionner par nature, jusqu’à nous faire croire que nous sommes cet émotion, cette peine, cette souffrance. Elle a pris possession de nous. Nous sommes malheureux.
Maintenant, loin de moi l’idée de refouler l’émotion. Au contraire, il me semble très sain de la vivre pleinement, avec suffisamment de présence en soi pour reconnaître l’emprise qu’elle a sur nous. Grâce à cette conscience de soi, nous pouvons choisir où poser notre regard, notre attention. Quand le regard est focalisé sur le malheur, et bien un autre malheur ne tarde pas à arriver et nous sommes de plus en plus épuisés, dans une suite d’événements désagréables, comme une boucle sans fin, notre vie est pénible et nous ne savons plus comment en sortir.

Par contre, quand notre regard est focalisé à l’intérieur, il est alors possible de voir le jeu de l’émotion qui grandit et choisir de diriger notre attention sur le calme fondamental qu’il y avait en nous avant cet appel, cet événement malheureux, et s’y relier. C’est comme si deux mouvements existaient en simultané à l’intérieur de nous, l’un étant désagréable et prenant beaucoup d’espace, l’autre se trouvant en dessous, sans mot dire, mais contenant l’essence de ce qui fait que nous tenons debout. C’est le mouvement de la vie. Se relier à la vie, c’est apporter sa conscience jusqu’à elle. Même si nous ressentons ce chagrin, cette colère, le fait de se relier coûte que coûte avec la vie en nous, initie un mouvement naturel où elle prend le dessus sur le malheur, c’est-à-dire qu’il perd de la puissance, petit à petit, jusqu’à se dissoudre complètement. À ce moment, nous ne lui auront pas permis de se loger profondément dans nos cellules, nous serons alors maître de nous-mêmes, responsables de nous-mêmes, et de la goutte d’encre bleue qui teinte ou non notre existence. C’est un peu cela je pense, devenir maître de soi-même. Devenir responsable.
Il est donc de notre devoir, de décider fermement où nous pointons notre regard. Le malheur ou bien la vie. La vie qui nous est donné n’est pas le malheur, au contraire, elle respire une douce joie, sans faire de vague, dans nos profondeurs. Elle ne demande rien, mais elle exprime sa joie quand nous la reconnaissons. Les vagues, les tsunamis, les ouragans, sont créés par nos pensées auxquelles est relié notre monde émotionnel… qui a le pouvoir de tout brouiller quand la présence de l’observateur intérieur s’est endormie.
Quand le malheur arrive, parfois il fouette si fort que se relever semble impossible! Soyons gentils avec nous-même. Entraînons-nous maintenant à apprendre à s’observer de l’intérieur et voir le mécanisme qui se joue. Nous serons mieux protégés si un grand malheur devait venir, comme la perte tragique d’un enfant, par exemple.
En s’observant, de plus en plus, dans nos réactions, il devient facile de constater les moments où notre émotion s’empare de nous à notre insu. Nous avons alors manqué de présence. Pas de drame! Une autre occasion se présentera, alors que nous aurons augmenté notre présence observatrice avec vigilance. Et quand il arrivera ce malheur, nous serons plus aguerris pour y faire face.
Dans le feu de l’action d’un événement déplaisant, il est souvent utile de “dézoomer” de la situation pour y voir plus clair, pour retrouver un peu d’espace. Aller marcher, sortir dehors, le corps au grand air, est une action qui pour moi apparaît comme une main tendue, une aide merveilleuse. J’utilise cette action, ce mouvement, ce temps, pour alimenter mon lien avec la vie quand le malheur fait irruption à l’intérieur de moi. Au retour de la marche, à travers laquelle je me suis permis cette attention soutenue avec la vie, le malheur s’est dissous, ou du moins, il ne s’est pas expansionné dans tout mon être. Je suis plus en confiance, en maîtrise de moi, j’ai mon espace, de la résilience, et la perception que j’avais de l’événement au départ s’est assainie.
Je dois dire que je marche d’une façon qui synchronise mon souffle sur mes pas. Cela donne un rythme à la marche et de là naît une oxygénation intense de tout mon corps. Cette façon de marcher est acquise pour moi, alors je porte mon attention sur mon souffle pour me connecter à la vie en moi, pendant que mon corps choisi ses rythmes en fonction de mes capacités pulmonaires et cardiaques, de la cadence de mes pas et du terrain sur lequel je marche. Cette technique de marche porte le nom de marche afghane. Mais peu importe la façon que tu as de marcher, quand tu es effondré, ébranlé, offre-toi une marche, aussi longue que tu en ressens le besoin et avec ton souffle, viens caresser la vie qui est là, dans tes profondeurs, dans tes cellules, et elle remontera à la surface parce que c’est elle que tu auras choisi de regarder.
Quand mon fils a vécu sa première peine d’amour, il est sorti marcher pendant des heures. Il a fait trois fois le tour du village où il habitait. Cette réaction a été salvatrice pour lui. Elle lui a servi d’exutoire pour évacuer le trop plein d’énergie causé par l’émotion. Il est rentré plus calme, plus posé, non sans sa peine mais je voyais qu’un processus sain émergeait en lui.
Je te le redis, quand tu es effondré, ébranlé, offre-toi une marche, aussi longue que tu en ressens le besoin et avec ton souffle, viens caresser la vie qui est là, dans tes profondeurs, dans tes cellules, et elle remontera à la surface parce que c’est elle que tu auras choisi de regarder.